Voici le texte que Patrick a remis à Mme Dencuff, son professeur d’Université, dans le cadre d’un travail à remettre pour son cours en sociologie:

 

Quand je réfléchis à tout le chemin parcouru pour me rendre ici, dans cette classe, je me compte, chanceux. Entre hasard de la vie et intuition personnelle je suis sortie plus d’une fois de ma zone de confort, et pour le mieux je dois dire. Je vous explique.

D’abord, je viens d’une famille de la classe moyenne (mère au foyer et père travaillant à l’usine). Tout ce qu’il y a de plus classique. Étant le plus vieux de deux gars, je n’avais pas vraiment de modèle à suivre. Qu’à cela ne tienne, j’ai toujours eu une haute estime de moi du plus loin que je me souvienne. Je ne faisais pas partie de la gang, non pas parce qu’on m’excluait, mais bien parce que je n’en avais pas envie. Je me disais si c’est ça être « cool », je n’ai pas envie d’être cool. Avec la distance je me rends compte que j’ai toujours aimé me tenir à distance, histoire de comprendre ce qui se passe, de loin, mais pas trop. Avec la distance donc, j’ai toujours été un sociologue, sans vraiment le savoir. Sans savoir ce que c’était.

Une chose que j’ai comprise très jeune, c’est la liberté. C’est paradoxalement que je l’ai appris, parce que mon père me disait souvent que je n’avais pas le choix. Mais pour moi, on a toujours le choix. Il y a certes des choix plus difficiles que d’autres, mais on a toujours le choix. Le rapport à l’argent aussi. Rapidement j’ai compris que l’argent « menait le monde ». Ça me rendait fou. J’imaginais un vingt piastres qui me disait quoi faire. Non merci! Ce n’était pas pour moi et ce ne l’est pas encore… Je suis donc rendu là, ici, dans cette classe. Pour l’amour de la connaissance, pour faire un avec l’humanité.

J’aimais le sport et j’étais bon, mais sans plus. L’école. Sans grand intérêt, sinon pour l’éducation physique. Normal, vous me direz, quand votre père vous offre de manquer des cours pour aller à la chasse avec lui. De très bons moments en passant. Surtout qu’il ne m’a jamais poussé à aller à l’école : « fais un DEP le jeune, ou va dans l’armée, perd pas ton temps à l’école », qu’il me disait.

C’est ce que j’ai fait, parce que c’était ce que tout le monde faisait dans le nord de l’Abitibi. Au moins une dizaine de gars de Quévillon était avec moi au DEP en mécanique industrielle, à Amos. De la testostérone, de la bière et des chars. Voilà en quoi consistait mon entourage à cette époque, mais encore je me tenais un peu à l’écart, à réfléchir, sans trop savoir comment réfléchir. Mais au fond de moi, je savais que je n’étais pas à ma place. Je voulais faire de grandes choses, être dans le groupe, me faire remarquer, mais pas à tout prix, seulement pour les bonnes raisons.

J’avais changé de cercle d’amis. Ils étaient tous plus vieux et m’ont donné confiance en moi (et c’est un peu le rôle que je veux jouer : donner confiance aux gens, leur donner la reconnaissance pour qu’ils se fassent confiance).

J’étais sortie de mon trou (Amos c’est quand même plus grand que Quévillon). Avant même la fin du DEP je travaillais les fins de semaines dans une scierie. Aussitôt le DEP fini, je travaillais à temps plein pour un « jobbeur ». La Domtar ne m’intéressait pas. Je me disais si elle ferme, le village devient mort. C’est ce qui est arrivé d’ailleurs, en 2005. Encore une fois au fond de mois je savais que j’allais partir un jour, contrairement aux autres avec qui je me tenais. Sinon, j’aurais donné mon nom à la Domtar, évidemment.

Un an plus tard je plaquais tout. C’est une semaine de vacances à Sherbrooke, chez un ami qui m’a fait « décliquer ». C’était la première fois que je sortais de l’Abitibi. La semaine suivante je disais à ma mère que je partais avec un lift qui s’en allait à Sherbrooke pour le début de la session d’école. J’ai lâché mon emploi sans rien dire, ni au boss[1], ni à personne.

C’était ma première vraie sortie de zone. Avec pas mal d’argent dans les poches, j’ai payé la traite à mes amis et je me la suis payée pas mal aussi, jusqu’à ce que je n’aille plus rien. C’est là que j’ai postulé chez Bombardier produit récréatif (BRP). J’avais une certaine fierté à travailler pour une grande compagnie québécoise qui avait réussi. Je réparais des Ski-doo.

Entre temps, je me suis fait une nouvelle gang d’amis, par l’entremise de ma voisine qui est devenue ma coloc. Tous ou presque étaient des gens qui travaillaient dans le domaine social (psycho-éducateur, travailleur de rue, gardienne d’enfants, enseignant au primaire). Je me sentais à ma place avec eux, mais pendant ce temps-là, je réparais des Ski-doo. Mais en réalité je préférais parler politique ou d’enjeu de société avec les gars de l’usine.

Et il y a eu l’accident de vélo. Dire que la journée d’avant je disais à mon collègue de travail que ça ne me dérangerait pas de « tomber » sur les assurances. Trois mois arrêté à ne rien faire au mois d’août. J’en ai profité pour retourner sur les bancs de l’école des adultes finir mon français de 5 que je ne l’avais pas fini. Je m’en foutais à l’époque, j’aillais faire un DEP et travailler dans une usine.

C’est à partir de ce moment là que tout a déboulé : « Pourquoi voulez-vous finir votre secondaire 5 », me demandait ma prof? Heuuu… Pourquoi pas? Je me suis mis à imaginer que moi aussi je pouvais faire autre chose, quelque chose d’honorable, je me disais. Parce que pour moi, participer à fabriquer des jouets au gaz à 15 000 $, dans cette ère de réchauffement climatique et de crise économique, ça ne m’apportait rien de plus que ma paie. Même que je n’étais plus à l’aise avec ça.

Comme toutes les années j’étais « slaqué » au travail après les fêtes, donc j’ai pu finir mon secondaire 5 sans trop de pression. Mais en réalité, je ne croyais pas que je pouvais travailler physiquement à longueur de journée. En tout cas, ça ne m’intéressait plus. J’ai profité du fait que je devais me faire réopérer pour commencer mes sciences humaines au cégep, sans quitter mon travail. J’aurais très bien pu aller directement à l’université étant donné mon âge, mais je préférais prendre mon temps. Faire bien les choses. J’aurais sans doute tout abandonné si j’avais été directement à l’université, la marche était trop haute.

C’est la psycho qui m’intéressait, mais disons que je n’avais pas les notes. La philo? Oh que oui, mais c’était trop abstrait encore pour moi, mais je suis réellement un philosophe dans l’âme.

Après une année de cégep, je n’étais pas encore certain, mais je savais que je ne voulais plus travailler dans une usine[2]. Le journalisme, l’histoire? Pas encore sûr.

Je m’étais inscrit à un stage d’initiation à la coopération internationale. Je trouvais que c’était une bonne manière de faire un voyage qui était plus que des vacances dans le sud, mais avec un certain cadre. Se sentir en sécurité c’est important quoi qu’on dise.

C’est là que j’ai connu ma prof de cégep, pas vraiment plus vieille que moi avec qui j’ai jasé beaucoup pendant le voyage. La sociologie donc? Voilà, je savais ce que je voulais. Plus souple que la psycho, plus concret que la philo.

Entre temps j’ai fait une dernière année chez BRP pour me ramasser de l’argent un peu et j’ai participé à la Commission Bouchard-Taylor. Le samedi suivant le Journal de Montréal qui m’avait consacré une page complète titrait : « Un jeune mécanicien sert un vibrant plaidoyer en faveur de l’être humain ». C’était la tape dans le dos qui me manquait pour continuer.

J’ai donc encore une fois fait une sortie de zone pour partir à Québec avec ma copine qui m’a suivi. J’ai lâché BRP au mois de mai (j’avais eu un congé sans solde pour faire ma deuxième année au cégep) et je partis trois mois en Asie du Sud-est avec mon coloc. En revenant, j’ai dit salut à mes chums de Sherbrooke et je suis partie pour Québec.

Je me suis vite fait des amis : des profs et du monde au doctorat et à la maitrise, pas vraiment plus vieux que moi; un directeur de maitrise que je considère comme un ami, un entourage avec lequel je me sens à l’aise de m’exprimer comme je le sens. C’est ça le bonheur. Et le bonheur ça se partage, donc si je peux donner la piqure à quelques étudiants, chaque année et bien ce sera mission accomplie.

La piqure du goût de la connaissance. Parce que connaitre c’est comprendre et comprendre c’est la liberté[3]. Apprendre donc, c’est apprendre à faire qu’un avec le monde dans lequel on vit. Apprendre c’est s’ouvrir aux autres. Et la sociologie c’est un maudit bon moyen pour ça. En plus, ça te permet d’avoir un portrait plutôt réaliste de la société, du rapport de l’individu à la société, dans son historicité, dans sa dynamique.

Je sais que je vais enseigner à des jeunes qui n’en auront sans doute rien à foutre de mes belles paroles, de mes enseignements, pour la plupart en tout cas. Mais il en restera toujours une infime partie qui va venir me dire merci à la fin de la session : « Ton cours était le fun et intéressant ». C’est donc pour eux et pour moi que je le fais (d’ailleurs, je l’ai vécu pas plus tard que la semaine dernière. J’ai fait une présentation de mon mémoire de maitrise dans lequel je compare deux auteurs. J’ai croisé une étudiante au bac cette semaine et à ma grande surprise elle m’a fait savoir que c’était vraiment bon, et que je lui ai donné l’envie de lire les auteurs en question. Je dois être un peu à ma place!). Le reste on ne peut rien y changer. Mais au moins, je vais essayer, en espérant ne pas avoir de regret. Je sais que j’ai une vision idéalisée de l’enseignement et que la réalité est bien différente, mais je sais bien m’adapter. Et le DESS ne sert-il pas justement à comprendre c’est quoi réellement l’enseignement au collégial!

Et qui sait ce que l’avenir me réserve après quelques années sur l’estrade en avant de la classe? D’autres portes vont peut-être s’ouvrir?

En tout cas, pour l’instant c’est ici que je suis rendu, dans cette classe et c’est ici que je veux être.

Enchanté Madame Dencuff, moi c’est Patrick.

 

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